Mentor est le vieux et sage compagnon de Télémaque qui lメaide dans sa difficile quête pour retrouver son père, Ulysse, que les dieux Vénus et Neptune, partisans des troyens, empêche de retourner vers son royaume dメIthaque pour le punir dメavoir contribué à la victoire grecque face à Priam (et oui, les dieux grecs avaient leurs favoris et mieux valait bien choisir son camp). Mentor prépare en fait le jeune héritier à son futur rôle de souverain en lメaidant à contourner les nombreux obstacles que les dieux dressent sur son passage, parcours initiatique sメil en est .(1)
Transposé à lメentreprise, les mentors sont ces chefs dメentreprise expérimentés, en activité ou non, qui aident tout en préservant leur autonomie et surtout en la développant, les primo-créateurs et primo-repreneurs dメentreprise. Pouvant prendre la forme du « mentorat dメaffaires ou dメentreprise » (mentoring en anglais), ce type dメaccompagnement ne fonctionne jamais aussi bien que quand il se base sur un véritable échange désintéressé entre les deux parties, quand il se trouve au centre dメun réseau dメacteurs dynamiques de toutes natures et jouit dメun ancrage et dメune reconnaissance fort au niveau territorial, un territoire dont il exploite toutes les forces vives.
Exemples à lメappui avec lメInstitut du Mentorat dメEntreprise de la Chambre Commerce et dメIndustrie de Paris inspiré dメune expérience québécoise et avec lメassociation Réseau Entreprendre Adour, initiatives dont on décrira la mission avant de tenter de dégager les principaux facteurs-clés de succès de celles-ci.
LメInstitut du Mentorat dメEntreprise à Paris de la CCI de Paris
En janvier dernier, la Chambre de Commerce et dメIndustrie de Paris (2) , sメinspirant en lメadaptant dメun modèle québécois largement éprouvé a inauguré lメInstitut du Mentorat dメEntreprise. Il sメadresse à des dirigeants dメentreprises à fort potentiel de croissance, les fameuses gazelles dont lメobjectif est de dépasser les 5 ans fatidiques pour nombre dメentreprises et de créer au moins 500 emplois dans cette période.
Ces entrepreneurs, rigoureusement sélectionnés sont accompagnés sur une période 18 mois par un mentor, dirigeant dメune entreprise bien assise dans le tissu économique. Le binôme ainsi formé mentor/mentoré fonctionne sur la base du bénévolat, de la solidarité entre pairs qui joue à fond et autour dメun certain nombre de valeurs: lメesprit dメentreprise, le partage, la confiance, lメaudace, la croissance, le civisme (maintenant appelé mal à propos la citoyenneté) et la responsabilité.
« ナ Le Mentor agit comme facteur dメaccélération de la croissance de lメentrepriseナ »
Le mentor est là pour faire partager son expérience mais aussi son réseau et son capital parfois car, en phase de croissance, les gazelles ont besoin de lever des fonds. Le mentor, comme lメexprime un dirigeant モmentoréヤ dメune entreprise dメaide à la personne agit comme モun facteur dメaccélération de la croissance de lメentrepriseヤ . Le mentor ouvre les bonnes portes à son « compagnon de route » avec lメidée de lメaider a lui faire éviter des erreurs à un tournant clé de la croissance de son entreprise, (3) モerreurs qui se payent ensuite souvent très cherヤ .(4) En plus de rencontres formelles et informelles régulières du binôme, des soirées-découverte mensuelles sur différents aspects de lメentrepreneuriat sont organisées. La relation ainsi créé est gagnante-gagnante (sans vouloir plagier une célèbre formule des dernières présidentielles françaises) puisque tant mentoré que mentor sメenrichissent mutuellement de cette relation humaine et dメaffaires sur la base de lメéchange de conseils issus des leçons tirées de lメexpérience. Cette initiative aux allures prometteuses quメest lメInstitut du Mentorat dメEntreprise sメinspire en fait directement dメune initiative développée par la Fondation québécoise pour lメEntrepreneurship.
Lメinspiration du modèle québécois de la Fondation pour lメEntrepreneurship
Régis Labraune, Maire de Québec et ancien président de la Fondation de lメEntrepreneurship (5) est à lメorigine de lメimplantation du mentorat dメaffaire au Québec (6) qui est aujourdメhui organisé selon un solide réseau tissé sur tout le territoire autour de ce système efficace. Le concept, vieux de 45 ans dメorigine américaine est reconnu par lメEtat Fédéral. Sa transposition a été plus facile que ne lメimaginait son importateur québécois puisque lメadaptation culturelle a été minime et a très bien pris dans le contexte québécois. Il convient ici de se pencher sur une des actionsヨphares du président Labraune dont on pourrait largement sメinspirer dans nos pays (Espagne et France encore que des initiatives de cet acabit se mettent timidement en place) : lメimplantation du programme モEntrepreneuriat au secondaireヤ qui consiste en la mise en place dメun itinéraire axé sur lメentrepreneuriat au niveau du lycée, à un âge capital pour se voir inculquer le goût dメentreprendre, du risque et le rejet de la peur de lメéchec, souvent paralysant. Le défi du mentorat dメentreprise auprès des jeunes lycéens mais aussi des jeunes entrepreneurs est double puisquメil sメagit de faire comprendre à ces publics quメヤil faut être plus intelligents quメorgueilleux et quメavoir besoin de quelquメun pour mener à bien ses projets [dメentreprise ou dメautre nature]nメest pas un signe de défaite ou un aveu de faiblesse mais au contraire permet la progression».(7) Cette dynamique est déterminante pour les choix dメorientation et la capacité dメentreprendre des personnes.
« ナLe terrain propice à lメenvie dメentreprendre doit être préparé en amont, sur la base dメune sédimentation qui aurait commencé depuis le plus jeune âgeナ »
En effet, le goût du risque nメa que peu de chance de se forger et peu dメespaces où éclore en dehors dメun environnement familial ou amical qui peut en donner des exemples positifs. Aussi lメécole, pourrait-elle être un de ces espaces, se gardant de toute instrumentalisation évidemment de celle-ci pour servir ce but unique, argument exagérément utilisé pour faire se dresser lメune contre lメautre , et souvent stérilement, école et entreprise et catégories « public et privé ». En permettant à travers ce programme un contact réel avec des entrepreneurs, on tord le coup à des préjugés bien vivaces sur la figure du patron et les contraintes liées à lメentrepreneuriat. Une telle démarche favorise la formation dメun terrain favorable au désir dメentreprendre et au goût du challenge dépassant une peur de lメéchec bien latine (8). Les aides en tout genre à la création lancées par les collectivités ne peuvent à elles seules impulser ce désir dメentreprendre et sont au mieux un “bon coup de de pouce” pour ceux qui ont décidé de « se lancer » de toute façon au pire sont une aubaine de maquillage de pseudo projets d’entreprise (raremenrt heureusement) et en tous les cas on recourt massivement à elles si le terrain est favorable à la création et les publics cible bien informés. Or ce terrain propice à lメenvie dメentreprendre doit être préparé en amont, sur la base dメune sédimentation qui aurait commencé depuis le plus jeune âge ; la création étant la résultante en général dメune culture ambiante et dメun caractèreナbien souvent découlant dメune éducation sans tomber dans le piège du déterminisme.
Refermant cette réflexion, on va maintenant se pencher sur le travail de lメassociation Réseau Entreprendre Adour, une initiative dans la lignée du mentorat dメentreprise qui a fait ses preuves.
Lメassociation Réseau Entreprendre Adour
Cette association dont le perimètre d’action est le bassin de lメAdour (département des Pyrénées Atlantiques, le Sud des Landes et la Bigorre, une partie des Hautes Pyrénées) fait partie du Réseau national Entreprendre formé dメassociations qui agissent chacune sur un bassin économique propre et dont la charte qui peut aussi résumer la mission est contenue dans la formule efficace projetée sur lメécran de la soirée des Lauréats (9) : モDes chefs dメentreprise qui accompagnent des nouveaux chefs dメentreprise avec des methodes dメentrepriseヤ. Tout est dit: lメaccompagnement dメun primo-créateur ou primo-repreneur par des chefs dメentreprise experimentés ヨ mais pas dans une logique maçonique ou fermée puisque lメassociation agit en réseau avec dメautres acteurs de lメaccompagnement- et dans un langage et avec des outils dans lequel se reconnaît モlメaccompagnéヤ.
Comme le souligne Pierre Croci, directeur de lメassociation, quメon a pu rencontrer: モ Plus que lメexpertise ce qui compte cメest lメexpérienceヤ,cメest, en effet, ce qui fait la valeur ajoutée de cet accompagnement. Sur le principe, des porteurs de projet de création ou de reprise dメentreprise sont accompagnés deux ans dans leur aventure après validation de leur projet par un comité dメengagement composé dメentrepreneurs pour certains ayant été pris dans ce dispositif quelques années plus tôt. Avant présentation du projet devant le comité dメengagenent, les techniciens de lメassociation auront orienté préalablement dans la professionnalisation de leur projet les postulants. Passé ce comité, le candidat devient alors lauréat de lメassociation et rejoint le club des lauréats, organisation qui a fait ses preuves puisquメelle favorise la création dメun esprit de solidarité, les échanges, lメamitié (des activités ludiques sont souvent organisées) et permet de rompre avec lメisolement dans lequel se trouve le courageux créateur ou repreneur bien souvent.
« ナLa garantie,ici, cメest : « Je crois en toi »ナ »
Le candidat bénéficie dメun accompagement collectif qui compte notamment une intervention mensuelle par un spécialiste sur une thématique précise et dメun suivi individualisé par un membre adhérent de lメassociation, une sorte de parrain ou mentor. En dメautres termes ce sont des chefs dメentreprise, en plus des dynamiques animateurs de lメassociation, qui se mettent à la disposition de nouveaux chefs dメentreprise pour cheminer avec eux. Enfin, autre point capital du dispositif, le lauréat se voit accordé un prêt dメhonneur personnel sans intérêt et sans garantie (10) . La garantie, ici, comme le dit Pierre Croci cメest: モje crois en toiヤ, ce qui ne dispense pas de lメélaboration dメun solide plan dメaffaire mais résume lメesprit de lメaccompagnement pratiqué.
Cette association ne fait pas cavalier seul mais sメinscrit au contraire au cワur de lメaction du réseau régional aquitain des acteurs de lメaccompagnement à la création, la reprise et la transmission dメentreprise (Conseil Régional, Pépinières, incubateurs, Chambres de Commerce et dメIndustrie, Conseil Général, Oséo-Anvar (« fonds dメaide à lメinnovation » etcナ) et cメest là toute sa force. Lメassociation va ainsi jouer à travers ses membres et envers les lauréats, un rôle de facilitateur et aussi de prescripteur du projet auprès des acteurs cités avant ; lメassociation jouissant dメune solide réputation de sérieux notamment auprès des banquiers qui accordent naturellement beaucoup de crédit à la vision et à la confiance accordée par des chefs dメentreprises vigoureuses. Les valeurs fondatrices plus loin citées illustrent et expliquent bien pourquoi le système fonctionne bien et pourquoi on peut en le citer comme exemplaire dans le Sud-Ouest (mais le réseau est présent dans toute la France): 1. Lメimportant cメest lメhomme, 2/ Le principe cメest la gratuité, 3/lメesprit cメest la réciprocitéナavec une phrase très efficace pour expliciter cette valeur et la relation « mentor /mentoré »: モon ne donne pas, on échangeヤ.
Les enseignements et les facteurs-clé de succès de ces initiatives
Il est démontré que les entreprises inscrites dans ces processus ont une durée de vie bien supérieure aux autres au bout de 5 ans : 70% avec un mentor contre 35% dans le cas contraire (11). Ces expériences décrites ici ne sont pas isolées et il en existe dメautres. On peut dégager un certain nombre facteurs clé qui peuvent certainement expliquer au moins en partie ce succès.
ユ La centralité de lメentreprise, de lメentrepreneur et de la solidarité entre pairs inscrite sur un territoire
Lメaccompagnement de créateur ou repreneur fonctionne dメautant mieux si dメautres chefs dメentreprise sont parties prenantes de lメaventure et comprennent mieux ce que vivent leurs pairs pour être passés par les memes étapes. A cela sメajoute, la volonté et/ou lメenvie de nombre de chefs dメentreprise de sメengager dans la vie économique de leur territoire et/ou de render la pareille pour avoir été aidés. Par ailleurs, comme souvent le font remarquer les モmentorésヤ, le mentor ne juge pas, est vraiment là pour aider, car il sメest engagé bénévolement dans le porcessus et sait quメil va retirer de cet engagement beaucoup au niveau humain mais aussi pour la bonne marche de son enterprise puisque il élargit son réseau et travaille par là à la mise en place de collaborations futures.
ユ Un accompagnement à la fois personnalisé et collectif qui crée du lien
Lメaccompagnement sメil est personnalisé et place mentor et mentoré au coeur dメune relation provilégiée doit aussi être collectif pour encourager lメéchange, permettre la création dメune comnunauté liante ensuite pour le reste de la vie, pour rompre lメisolement, mutualiser les connaissances techniques mais aussi humaines, dans une aventure qui met souvent celui qui choisit de sメy engager face à ses doutes et ses faiblesses.
ユ Un dynamique de réseau entre acteurs locaux qui alimente la confiance, développe la crédibilté et favorise la prescription
De telles dynamiques dメaccompagnement agissent toujours en réseau avec les autres acteurs locaux de lメaccompagnement (institutionnels ou privés) (celles-ci dメailleurs les encourageant), elles sont facilitatrices et accélératrices car elle se font dメentrepreneur à entrepreneur aux interêts partagés et en connaissance de cause ce qui assure une crédibilité sans précédent notamment auprès des établissements bancaires qui seront plus enclins à accorder un emprunt conséquent à un créateur ou repreneur qui aura passé le モfiltreヤ dメentrepreneurs aguerris.
A la base du mentorat dメentreprise, une idée simple donc, presque triviale, et dont le succès nメest plus à démontrer: celle que lメexpérience quand on la partage permet dメéviter bien des erreurs à celui qui sメapprête à emprunter un chemin semé dメembûches quメon a su déjouer.
Nos Télémaques de lメentreprise chemineront avec dメautant plus de succès sメils sont bien aiguillés par leur Mentor, leur compagnon de route vers le “pays de l’Entreprise”…
[1] En effet, la notion moderne de mentor prend sa source dans « Les aventures de Télémaque », célèbre ouvrage annonciateur des Lumières écrit par Fénelon en 1699 conçu comme un véritable traité dメéducation – mais aussi pamphlet sur le Versailles de Louis XIV dメoù le scandale quメil provoqua- destiné à initier son élève, le Duc de Bourgogne, petit-fils du Roi Soleil à la culture grecque en même temps quメil le forme à son futur métier de souverain chrétien.
[2] Site web: www.ccip.fr
[3] Témoignage de J.L Thierot dans la vidéo de présentation de lメInstitut du Mentorat dメAffaires en ligne sur le site de la CCI de Paris
[4) Propos de Dominique Restino, élu de la CCI de Paris à lメorigine de la création de lメIME.
[5] Site web: http://www.entrepreneurship.qc.ca/fr/default.asp
[6] Vidéo de lメinterview de Régis Labraune sur le site web de la CCI de Paris
[7] Idem.
[8] Lメauteur ne sメexclut pas de ses réflexions, la peur de lメéchec est en effet souvent plus fort que le goût du risque ou dメentreprendre ヨ ici entendu comme モcréer son entrepriseヤ- bien que celui-ci soit grand mais notre auteur travaille activement à renverser cette tendance et espère sortir du salariat aliénant, quoique non marxiste de son état. Cette note est destinée à vérifier si nos lecteurs courageux la liront justement.
[9] Lメauteur a pu assister en juillet dans le superbe Domaine vitcole de Cinquau dans le Jurançon à cette soirée annuelle des Lauréats qui met à lメhonneur les entrepreneurs accompagnés au cours de lメannée écoulée. Cette année les lauréats, sous la très originale forme de saynètes, présentaient avec brio, émotion et drôlerie au public nombreux un moment-clé de leur création ou de leur reprise dメentreprise.
[10] Il peut aller jusquメà 22000 euros, il est remboursable sur 5 ans avec un différé de 18 mois.
[11] Source: réseau des Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) du Québec (http://www.reseau-sadc.qc.ca/